En mai 1983 nous quittons Saint-Barth pour gagner Baltimore aux USA ou nous arriverons fin aout. Ces quatre mois restent le meilleur souvenir de notre épopée maritime après l'épisode de la construction de Deborah.
Nous faisons une première escale à Saint-Thomas ou nous avons prévu de modifier l'équipement gaz de Déborah pour pouvoir l'adapter au système américain. Tout semble se dérouler sans problème et après un petit tour aux célèbres Bath de Virgin Gorda nous mettons les voiles pour une navigation directe vers Norfolk à l'entrée de la baie de la Chesapeake.
Saint-Thomas
port de Charlotte Amalie
The Bath à Virgin Gorda
Deux jours après notre départ, plus de gaz! Le détendeur récemment installé devait avoir un défaut et le gaz s'est échappé sans que nous nous en apercevions, le coqueron ou se trouvait la bouteille, bien ventilé et situé à l'arrière du bateau, il s'est évanoui dans le sillage! Ne voulant pas renoncer si rapidement aux délices de la cuisine, et bien qu'équipés d'un petit Primus de secours, un coup d'oeil à la carte me dit que nous ne sommes pas très loin de Grand Turk ou dans ma naïveté, je pense pouvoir trouver la solution à notre problème, un détendeur et une bouteille de gaz!. Nous n'avons pas d'impératif de temps, une escale est possible et le nom de ces îles tellement évocateur de flibuste et de Robinsonnade que nous virons à bâbord, cap sur les Grand Caïcos.
A la tombé de la nuit nous apercevons très loin une lumière qui devrait être le phare de la pointe nord de Grand Turk. Comme nous avions prévu de faire route directe vers la Chesapeake nous n'avons pas de carte détaillé mais savons que des hauts fonds entourent ces îles, y rendant la navigation nocturne périlleuse. Nous mettons donc à la cape en attendant que le jour se lève.
Au petit matin nous sommes en vue de Grand Turk et rencontrons un pêcheur qui nous donne des indications pour rejoindre Cokburn Town, une courte jetée en bois, occupée par un petit cargo, et un mouillage face à quelques maisons, le lieu est presque désert, hors du temps, mais il en émane un charme profond. Rendu à terre, nous allons de surprise en surprise, chaque petite maison, très proprette, abrite en fait de nombreuses boites à lettre ou nous pouvons lire le nom de sociétés diverses, nous sommes arrivés dans un des premiers paradis fiscaux des Bahamas (les iles Turk and Caïcos font partie de l'archipel des Bahamas mais sont indépendantes). Un peu plus au nord du village se trouve une importante base américaine dédiée au suivi des satellites!
Bien évidemment nous n'y trouverons pas de gaz et encore moins de détendeur mais nous aurons le plaisir de faire la connaissance de l'équipage du cargo, quatre sympathiques aventuriers américains qui nous invitent immédiatement à déguster un succulent spaghetti langouste, la spécialité de leur cuistot! Le ventre plein je pourrai me mettre au travail et sortir Rotring et papier calque pour copier à partir du Yachtman's Guide to the Bahamas les quelques cartes qui nous permettrons de continuer notre quête de gaz dans ces Far Out Islands dont le nom était, à l'époque, pleinement justifié puisque nous ne rencontrerons aucun autre bateau de plaisance jusqu'à George Town à Great Exuma.
Nous quitterons Cockburn Harbour munis de nos précieuses cartes sur papier calque, direction Mayaguana. La traversé du Caîcos Bank est effectué avec précaution, à la lumière du jour, les fonds variants de seulement neuf à quinze pieds et en laissant à bonne distance sur tribord les têtes de corail affleurantes de French Cay et de Molassas reef pour déborder à la nuit tombante la pointe sud de West Caïcos. Sous génois, grand voile et artimon et poussés par une bonne brise d'est nous visons Abraham bay ou nous devrions arriver dans la matinée. Durant la nuit la brise reste bien établie, Deborah taille sa route allègrement frôlant les huit noeuds et nous sommes alertés, alors que le jour n'est pas encore levé, par un changement de bruit de la mer, nous décidons tout de suite d'affaler et de mettre à la cape, un courant nous a déporté plus au nord que prévu et nous allions droit sur East reef ou nous aurions bien pu nous échouer...le jour se lève enfin et nous allons nous reposer de nos émotions en mouillant à Southeast point, au pied d'une petite falaise surmontée de splendides casuarinas, arbre emblématique des Bahamas.
"Du vent dans les branches de sassafras" de René de Obaldia m'a laissé un souvenir émerveillé, cela deviendra donc, pour moi, "du vent dans les branches de casuarina" et plus tard, à la Réunion puis à Nosy be, du vent dans les filaos, arbres de la même famille. Rien n'égale la belle sonorité du vent qui feule dans leur ramage. Un peu plus tard nous rejoignons Abraham Bay, le mouillage de Mayaguana dans lequel on pénètre par une passe étroite dans la barrière , par fond sableux d'à peine sept pieds
sur lequel la quille de Deborah tapotera doucement à marée basse. Plus encore qu'à Grand Turk, l'impression d'être hors du temps est saisissante, quelques maisons, un magasin ou nous pourrons trouver un peu de pain et quelques oeufs mais de gaz, point. Nous continuons donc le rituel du bivouac sur la plage, réservant le Primus pour le thé du matin. Chaque plongée est un enchantement et nous passons de belles heures sous l'eau à nager avec Nils entre les gorgonnes et les poissons multicolores. C'est une abondance de casques rouges, de lambis, de sand dollars, et de formations coralliennes des plus diverses. Un vieux pécheur local nous apprendra comment vider les coquillages pour pouvoir les conserver sans risque d'embaumer tout le bateau en les déposant sur deux baguettes de bois en travers d'une bassine remplie d'eau de mer....torture certes, mais lorsque l'animal tombe dans la bassine on peut le remettre à l'eau et si tout se passe bien pour lui il réintègrera une coquille vide....
festin sur la plage à Betsy bay Mayaguana
retour de shopping....six oeufs et un quignon de pain
Après Abraham harbour nous ferons un dernier mouillage à Mayaguana à Betsy bay sur la côte ouest ou nous aurons l'honneur lors de notre festin sur la plage d'avoir la visite du chef du village qui aura ces mots évocateurs: "Ah! France, Paris, tour Eiffel, général De Gaulle...."
Notre prochaine halte sera les Plana Cays, deux "vraies" îles désertes puis nous longerons Acklins, Crooked et Long.....
Croocked island
Les Plana cays
Bird Rock lighthouse
Long island
que nous déborderons par sa pointe nord pour mettre le cap sur Great Exuma et Elizabeth harbour. A George town nous trouverons enfin notre graal, une bonne bouteille de gaz et son détendeur! Comme un bonheur n'arrive jamais seul nous aurons le plaisir de pouvoir déguster à l'Out Island Inn une délicieuse soupe de tortue, la spécialité locale et enfin nous ferrons l'acquisition de la bible du navigateur le "Yachtsman's guide to the Bahamas" dont j'avais recopié les cartes à bord du cargo à Grand Turk. Nous y retrouvons aussi la civilisation et les premiers yachts depuis les Îles Vierges.
Jolie brise sur Elizabeth harbour
un petit bateau à moteur en feu devant Stocking island
les immenses plages désertes des Bahamas
Eleuthera
Bahamas sky - 1
Bahamas sky - 2
Bahamas sea - 1
Rawson square Nassau
A Nassau, capitale de Bahamas sur l'île de Providence, nous aurons le plaisir de retrouver le "sister ship" de Deborah , un autre "Petit Prince" construit à la même époque sur le chantier Saint-Claude par Bernard Lebras qui avait été mon électricien sur les chantiers à Saint Barthélémy. Lui aussi est en route pour la Floride ou il mettra son bateau en vente et trouvera comme nous, très rapidement, un acquéreur.
Nous quitterons Nassau pour un dernier mouillage au sud de Great Abaco avant la traversée du Gulf Stream de nuit, vent, courants et cargos en abondance rendrons ce passage agité et enfin au petit matin nous verrons se dessiner les côtes de la Floride qui déclencheront l'amusante réflexion de Nils: "Papa, on voit pas le bout de cette île!"
Après avoir passé Palm Beach Inlet et accomplis les formalités douanières nous irons mouiller à Old Port Lake pour quelques jours, puis à la Blue water Marina pour faire un petit lifting à Deborah, gros nettoyage et peinture de pont, installation de moustiquaires pour affronter les "no see them" (ceux que l'on ne voit pas), particulièrement voraces le long de l'Intracoastal Waterway que nous allons remonter jusqu'a Baltimore ou nous attendent Giny et Phil Deardorf, pour qui j'avais fait d'importants travaux dans leur maison de Saint Barthélémy, devenus des amis, qui nous ont proposé de nous accueillir aux États-Unis et d'y faciliter notre installation, notre objectif à cette époque étant d'y créer un atelier de céramique après avoir vendu le bateau
The intracoastal waterway de West Palm Beach à Baltimore
1100 miles nautique
Les caïmans ne font même pas peur à la naïade......
sous l'oeil égrillard du martin pêcheur!
Thomas point lighthouse - Chesapeake Bay
Maryland marina, la fin du voyage!
Phil & Giny seront la pour nous accueillir et nous faciliter les démarches d'intégration, Giny est avocate et sera notre représentante pour l'obtention de la Green Card, permis de séjour définitif aux USA qui nous sera délivré sans difficulté avec un projet de vie basé sur l'établissement d'un atelier de céramique....
Nous sommes déjà en septembre, les vacances sont finies et il est temps pour Nils de reprendre le chemin de l'école "in the american way". L'apprentissage d'une nouvelle langue dont les sonorités lui ont été rendues familières par les dessins animés de la télévision lui sera grandement facilité par le dévouement et la gentillesse de sa maîtresse à la "Seneca School"
En attendant le school bus
De retour de l'école
Seneca school
La maitresse de Nils
Halloween!
Quelques jours de vacances à la découverte de la Shenandoah aux éclatantes couleurs de l'automne.
Le centre commercial de Towson n'était certainement pas un des plus grands des USA mais le choc de civilisation avec les épiceries des Caraïbes ou des Bahamas n'en fut pas moins important....
Malgré le merveilleux accueil de Phil et Giny et toute l'aide qu'ils nous ont apportés pour notre intégration, nous découvrons une amérique bien différente de celle que j'avais connue en 1967 en Californie, le flower power en cette année de Summer of Love, la poésie d’Alen Ginsberg, Big Sur et Jack Kerouac, W.S. Burroughs, Ferlinghetti et City Lights semblent s’être dilués dans le « Reaganisme » ambiant et Baltimore est bien loin de San Francisco…Il est vrai aussi que trois années de vagabondage dans les Caraïbes ne nous ont pas préparé au gigantisme et au consumérisme et tant qu’à poser notre sac à terre l’envie d’un retour en France commence à poindre. Quoi qu’il en soit il faut nous séparer de Deborah pour pouvoir concrétiser le projet d’installation d’un atelier de céramique ou nous envoler vers l’Europe. Nous confions cette tâche à « Interyacht », broker à Annapolis.
La caisse de bord commençant à virer au rouge écarlate, il a fallu que je me remette au travail et j'ai été embauché par Fred Batton, constructeur de maisons et ami de Phil & Giny à qui il m'ont chaudement recommandé. Nous sympathisons vite et invitons Fred et Helen un samedi soir à bord pour gouter la succulente spécialité de Nicole qui impressionnait tout nos amis américains depuis Saint-Barthélémy, la quiche lorraine! Nous abordons dans la conversation notre projet de vendre le bateau et nous avons la bonne surprise de les voir revenir le lendemain matin à la première heure pour nous annoncer leur décision de se porter acquéreurs de Deborah. Voilà une affaire rondement menée et nous sommes maintenant libres de notre nouveau choix de vie qui sera le retour en France, l’achat d’un terrain et la construction d’une maison!
Nous n'aurons qu'un regret, celui d'avoir trop vite conclu un contrat qui nous lie avec le broker à qui nous devrons, bien qu'ayant nous mêmes trouvé l'acquéreur, régler les 10% de commission! Malgré cela, le dollar étant au plus haut nous réalisons une très bonne affaire en vendant le bateau deux fois sont prix de revient et je me vois largement rémunéré pour ma main d'oeuvre!
Deborah, apprêtée pour séduire l'éventuel acquéreur....
"Deborah", devenu "Vers le Vent", fierté de ses nouveaux propriétaires américains au mouillage devant Maryland Marina arborant ses nouveaux atours, radar, et équipement électronique complet, nouveaux tauds de voile, barbecue de pont etc...un vrai yacht américain!
Goodbye America
Avant de quitter les États-unis et soulagés par la vente de Déborah nous nous offrirons une visite de New York et de Washington.
On the road to New York
Ellis island et la statue de la Liberté
Nous sacrifions au rituel...
The twin towers, World Trade Center vue d'Ellis island.
Sur fond de Manhattan
Manhattan et l'Epire State Building
Washington