Il ne peut guère sortir de bons vers de la cervelle d'un buveur d'eau.
Épicharme
Poetry is just the evidence of life. If your life is burning well, poetry is just the ash.
Leonard Cohen
La seule signature au bas de la vie blanche, c'est la poésie qui la dessine.
René Char
Poetry is not an expression of the party line. It's that time of night, lying in bed,
thinking what you really think, making the private world public,
that's what the poet does.
Allen Ginsberg
fugaces
quatre saisons
l'arbre meurt
pauvre arbre
c'est l'automne
impitoyable
impitoyarbre
l'arbre est mort
c'est l'hiver
qui l'a tué
de son éclatante
blancheur
non
regardes
l'arbre vit
le printemps
l'a ressuscité
il pourra encore
abriter notre amour
cet été
07.02.1968
guerre
ruisseau coule
sang coule
doux bruit
cris d'horreur
c'est la guerre
aux armes
ruisseau coule
doux bruit
canon tonne
j'ai peur
ruisseau coule
emporte mon coeur
16.10.1968
regards
oeil noir
regard de toi
regarde moi
regard de moi
regarde toi
coeurs noirs
regardez-vous
regardez-nous
nous sommes heureux
sans vous
16.10.1968
reflets de l'amour
sur l'eau calme
deux ombres
s'enlacent
01.11.1968
la promenade du chien
le chien se promenait
comme tous les soirs
suivant les trottoirs
s'arrêtant
de temps en temps
pour satisfaire ses besoins
besoins de chien
évidemment
et il s'amusait souvent
car il regardait
les hommes
ceux qui s'embrassent
ceux qui se tuent
tendresse d'un baiser
violence d'un pistolet
que de contradictions
chez ces humains
se disait le chien
tout en continuant de se promener
et il rencontrait
un clochard
claquant des dents
sur un banc
puis un peu plus loin
un gros richard
fumant son cigare
dans une belle limousine
noire
avec chauffeur assortit
alors le chien secouait la tête
et tristement
la queue pendante
comme un chien qu'il était
il continuait sa promenade
un peu plus loin
le même spectacle
toujours le même
spectacle
alors il prenait la fuite
s'éloignant des chemins
que fréquentaient les humains
et il se disait que
tout compte fait
une vie de chien
c'était beaucoup mieux
qu'une vie d'humain
07.11.1968
intempéries
le vent hurle
l'orage gronde
éclate
se répand
en longs sanglots
et tu es la
serrée
contre moi
tu as peur
tu as froid
j'avais pourtant rêvé
à des cieux
plus cléments
pour nous deux
heureux amants
12.11.1968
le grand théatre
la tête courbée
devant toi
j'avais l'air de quoi
un pantin peut-être
que tu agitais de
tes mains
si belles
si agiles
mais petit à petit
les cordes se sont
usées
les cordes se sont
cassées
le pantin a cessé
de remuer
le pantin a cessé
d'accepter
c'est ce jour là
qu'il est partit
c'est ce jour là
que tu as compris
que l'amour
ne pouvait pas
admettre
dans son grand théatre
les montreurs de marionnettes
20.11.1968
USA
à lire en écoutant
"a saucerful of secrets"
pink floyd - 1968
san fransisco
ville
bruits
couleurs
et sons
bruit des
couleurs
très fort
blancnoirjaune
rouge aussi
vert
bleu
et blanc
océan
mouvant immobile
derrière
un écran
de celluloïd
vaporisé
chimérique
chinamérique
pagodes
buildings
boudhachrist
enfin
nous parmi eux
22.11.1968
infini
cubique
bleu et noir
avec des
soleils
rouges ou jaunes
verts ou blancs
partout
avec une
grosse
bulle de savon
flottant sans façon
dans une atmosphère
inodore
avec des hommes
dans la grosse bulle
de savon
appuyants
sur des boutons
boutons de fièvre
fièvre d'une musique
sans raison
avec des pieds nus
sur un plancher
de pierres froides
ou nagent
des millions
de papillons
avec des présidents
sur les murs
avec des poussettes
d'enfants
avec des enfants
d'enfants
dedans
avec des balais
de sorcière
et des linceuls
de cimetière
avec toute la
folie
d'un monde
réel dans un
irréel en folie
avec la drogue
du mexique
venue de l'alabama
transformée
en musique
avec toute la
poésie merveilleuse
amoureuse
qui arrive par
bouffées de
washington square
c'est ça
l'electric circus
cirque infernal
et fantastique
24.11.1968
independance day
des ombres de lumière
flottent sur le macadam
électrisé
la brume se réveille
se secoue se lève
s'en va
lambeaux gazeux et flous
dévoilant des tours de babel
de béton gris
ou s'allument et s'éteignent
de petits éclairs
un taxi fou klaxonne
à coeur perdu
sur la cinquième avenue
un chien triste et solitaire
lève la patte
lentement
fatigué par une nuit
d'errance
un homme noir
lit son journal adossé à
un arrêt d'autobus
attente matinale et monotone
attente d'une vie dont il n'y a
plus rien
à attendre
le métro gronde sourdement
dans les entrailles de la ville
un remorqueur hulule au loin
sur l'hudson
plainte déchirante
un être désespéré
se jette dans l'eau tumultueuse
du georges washington bridge
malaise angoissé
une moiteur sournoise
écrase déjà la ville
pesanteur amorphe sur plus de
huit millions de personnes
il est quatre heure du matin
le quatre juillet
c'est la fête de l'independance day
02.12.1968
directions
est
route des indes
passant par les
bords
de la méditerranée
allah
haschich
voyage dans un voyage
et puis surtout
désert et solitude
grand désert
aux sables immobiles
et puis surtout
les indes
bouddha chanvre indien
cithare dans un voyage
pouvez-vous m'expliquer
ce que je fous ici
ouest
route de l'amérique
passant par l'atlantique
christ
mais décrucifié
reconstitué
et puis surtout
marijuana
du mexique
voyage dans un voyage
et puis surtout
musique colorée
des noirs
des bords du mississipi
pouvez-vous m'expliquer
ce que je fous ici
entre les deux
24.11.1968
usa 1967
une douce torpeur m'envahit serpent silencieux glissant dans l'herbe jaune et rase
propagation de cet état
anéantissement de l'esprit de l'être simple
plus de ravages ce soir
plus de carnages
personne ne rêvera au désespoir
tout est calme doux cotonneux moelleux peau satinée de la femme aimée frémissement tendre sous ma main
des comètes traversent mon âme traits brulants d'amour
visions passées présent qui aura peut-être un futur
je te revois grand canyon
ocres et verts chatoyants plaie et bosses d'une terre émotive au coeur brisé
précipices effrayants démesurés attirants
beauté profonde
je rencontre au coin de la 5 ème avenue
un texas en fleurs et fêtes
un texas en délire
cowboys de graham city
jonglants habilement de leur vie
sur des taureaux écumants et fous
bravos
je rencontre des gratte-ciel skyscrapers
démesurés
regard saoul qui les admire
beauté rectiligne
harmonie du cube
fenêtres vides à minuit
grouillantes à midi
insectes laborieux dans un univers de verre et de lumières tourbillonnantes
mon âme et mon esprit voyagent à prix réduit
hitch hike le long des autoroutes
mustang et lincoln
chevaux maitrisés par de petits pieds
l'homme a dompté la bête
la machine domptera l'homme
je te revois greenwich village
ta poésie
tes boutiques de verroteries
ta folie sereine au pied de la fontaine de washington square
merveilles à prix réduits
lunettes étranges
prismatiques
monde rouge comme du sang rouge et sang monde le sang coule dans le monde
image cruelle oubliez
je te revois aussi martha
tes petits seins roses et frais
seins têtus
drôles de petits jouets
dans la lumière tressaillante du poste de télévision
douzième chaine troisième étage
je te revois tommy
cheveux au vent dans la nuit
tu cours et tu chantes
oh tommy joues encore de ton piano
mais il faut partir toujours voir du nouveau chercher le beau l'irréel le monde tel qu'il est
je te retrouve ymca
puante
accueillante
bruyante
amour à tous les étages
drogue à tous les étages
ymca de vie
je te retrouve continental trailways
greyhound
monstres climatisés
cent mille per hour sur des chemins
lisses
sans fin
gigantesque monotonie du paysage
joie éclair dans le temps
tu es la aussi chicago
divers modernes et anciens divers
c'est le grand standing du ghetto
c'est le noir du blanc
tout est gris mais tout est beau
tours de babel
trinité immuable
avec des petits bateaux qui vont
sur l'eau
et le bus repart direction infini au milieu d'un parking prolétaire milliers d'automobiles
coloris ondulants sous un ciel d'enfer
le grand voyage commence
quand s'arrêtera-t-il
jamais sans doute
jamais
souhait
prière
invocation
arrête-toi merci mon dieu si c'est toi que je dois remercier
arrêt tout le monde descend ici c'est le paradis
canettes de bière
dans un parc public garden
richmond californie
apparition fulgurante
deux fées dans une fenêtre au contour d'acier c'est ça la
beauté
attention police secours existe aussi secours qui frappe et abat
les innocents
dans la chaleur moite de la nuit
l'océan chante tout près
fuite éperdue dans ce pays
fuite vers le mississipi qui s'arrête
à oakland bay
je te revois pont lumineux phosphorescence extravagante
étoile dans les étoiles
je te revois haight ashbury avec tes cris formidables
musiques fantasmagoriques
tout simplement fantastiques
marijuana
lsd 25 acide lysurgique
haschisch
heureuse évasion pas d'écrasement possible
constante recherche de l'existence illégale du néant
sans forme
et qui pourtant possède des fesses
possède un vagin béant qui s'ouvre et se ferme et crie à
l'aide
or noir
la poussière vole dans les rues
poussière jaune au toucher râpeux
ou se mêlent des papiers graisseux
et des images de femme nues
enveloppant d'étranges créatures
titubant et butant sur les trottoirs
se jetant quelquefois sous une voiture
qui passe comme un éclair sans les voir
créatures incolores du désespoir
créatures noires prisonnières éternelles
des murs gris qui les dominent
er méchamment cache le ciel
créatures imbibées par cette bière
que l'on peut trouver n'importe ou
la ou des hommes d'une autre couleur
vous la vende pour rien du tout
c'est tout ce qu'elles peuvent faire
pour mêler la gaieté et la douleur
pauvres créatures qui lèvent la tête
vers des échelles qui descendent des parois
de ces arbres de béton en putréfaction
vieilles malgré leur air de fête
rouillées par tant d'années d'inaction
et les créatures se disent doucement
que si ces échelles montaient vers le bleu
au lieu de descendre inutilement
vers l'enfer alors ils seraient heureux car ils verraient un peu de couleur
avant d'aller désespérément travailler
rouge orange et jaune surtout
cette couleur fantastique celle de l'or
dont ils voudraient connaître le gout
mais les échelles ne montent pas du tout
dans les ghettos
de ce pays si beau
de ce pays de l'or
15.01.1969
déjà mort
à lire en écoutant
"l'île des morts"
Sergueï Rachmaninov
une histoire
il est minuit
le gardien de l'écluse ganté casqué botté père d'un
certain nombre de morts attends depuis pas
mal de temps déjà qu'apparaisse un serpent
pour ouvrir ses portes de l'infini
la grand-mère de l'éclusier vieille d'au moins
cinq cent ans commence vraiment à devenir vraiment vieille elle n'a même plus la peau
sur les os c'est un squelette blanc simple et
beau elle a perdu son chapeau en saluant
le passage du dernier serpent il y a bien
longtemps
la pendule dans la pièce sans mur ni plancher ni plafond
se tient toute droite malgré ses rhumatismes
elle nous regarde tous avec son oeil
unique et immobile
l'espace est peuplé de serpents mais il n'y a qu'une seule
écluse et les serpents le savent et ils ne viennent
plus et il ne viendront pas et ils ne viendront plus
et nous nous attendons que la pendule sonne douze coups douze coups de midi
nous attendons le jour ou nous sortirons de la nuit
25.11.1968
vision
des bras décharnés surgissent
d'un néant grotesque
et battent l'air
sans espoir
des yeux solitaires roulent sur
un désert immense
et se perdent
à l'infini
impossibilité de la vision réelle
des voix caverneuses
se heurtent contre des
falaises de béton
qui ne font même pas
échos
à leurs supplications
inutilité de la parole
des coeurs sanguinolents
blêmissent peu à peu
meurent enfin dans une
plainte déchirante
vanité de l'amour
des corbillards défilent
sans arrêt dans cette vie
ou le feu est toujours vert
pour la mort
futilité de la vie
06.12.1968
la vieille
une vieille pliée sous son fardeau s'arrête dans le sentier
pour me regarder
pour me questionner
voyant que je ne la comprends pas bien
elle se met à crier
ouvrant large sa bouche édentée
mais la voix de la vérité
ne peut pas percer
ma surdité mentale
elle pousse un soupir et s'accroupit
devant moi
une heure cent ans
elle me fixe dans le blanc des yeux
je pense à autre chose
elle tend la main vers mon pied
vers mon âme
en touche toutes les plaies
comme on lave de toute tache
un vase sacré
la pointe de ses doigts est très douce
enfin elle me pose une question que je comprends
elle me demande si là-bas dans les pays lointains
j'avais encore une mère
je fais oui de la tête
alors ses doigts tracent sur ses joues
des allusions aux larmes
et je fais oui de la tête
05.08.1969
folie
un silence d'acier
m'étreint
étau féroce qui se
referme
sur mon esprit
vide
ennui
ennui
ennui
un rire dément
résonne
soudain
cloche de mon délire
tocsin de ma folie
vide
ennui
ennui
ennui
et je m'écroule
dans la nuit
folie tu me guettes
je suis ta proie
plus rien ne peux
me dérober à toi
allons viens
viens
viens
prend moi dans tes bras
et puis serre moi
serre
serre
que j'étouffe
enfin
que je crève
enfin
que l'on m'oublie
enfin
04.12.1968
vanité
l'homme
penché
sur l'eau
est surpris
par le soleil
éclatant
et dans une
étrange
luminosité
il retrouve son
ombre
bercée
bercée
et puis
doucement
tout doucement
brisée par le vent
qui se lève
comme elles sont
frappantes
soudain
les ruines
de la limpide immensité
31.01.1969
III
saoulerie du vieil
ornithorynque dans un
paysage inorganique
horrible fuite du vide
inconsistant excrémentaire
écrasement moelleux
sous le talon des bottes
originales du ss de la
pauvre cervelle juive
hope de qui
je ne peux
interrompre les combats
éclatements des dents de
sept milliards de combattants
ornements pour collier
petites perles carrées
humaines
hors de prix
incroyablement brillantes
et je tremble à ces mots
sauvage délire du poète
ovalisation d'un oeuf
planté dans mon coeur
hermétique et mal arrosé
et l'oeuf ne peut pas pousser
son éclosion donne
obligation d'exister au
pauvre être mal formé
hideux
irréel et merveilleux
étonnante vérité
seule ton omniprésence peut me sauver des
horreurs de ma pensée
installe moi dans tes bras
et berce moi
18.01.1969
le royaume de dieu
la misère qui pourrit
dans les rues
me saute à la gorge
et m'étrangle
de ses mains qui sentent
le poisson
dans un râle étrange
je m'étends
sur le trottoir
au milieu
des poubelles renversées
je regardes
tout la haut dans le ciel
les étoiles
scintillantes et mystérieuses
et dans une dernière
illumination
je ferme les yeux
je quitte le monde
pour le royaume de dieu
27.01.1969
V
ce monde de culs-terreux
d'aveugles et de pieds-bots
de cancéreux et de boiteux
de goitreux et de manchots
je l'oublie en me saoulant
ce monde de guerriers
de bombes et de tués
d'atomes et de prisonniers
de napalm et de mitrailles
je l'oublie en me droguant
ce monde de divorcés
de veufs et d'orphelins
de bordels et d'asexués
de maqueraux et de putains
je l'oublie en te regardant
car tu es mon alcool
car tu es ma drogue
car je suis ton amant
18.01.1969
VII
dans la solitude de la nuit
mon âme s'évade s'évanouit
disparait malicieusement sans bruit
ou s'en va-t-elle ainsi
oiseau des ténèbres
ou s'en va-t-elle ainsi
sans me le dire
ou s'en va-t-elle ainsi
si heureuse
si légère
oh mon amour
tu le sais
car au milieu de la nuit
mon âme va se blottir
dans la douceur
de ce petit nid
dans la douceur
de ton coeur
27.01.1969
dépression
- I -
dans la froide pâleur
d'une luminosité triste et solitaire
une créature squelettique
au regard vide
famélique
se penche sur son labeur
s'enivre de malheur
se saoule de mystères
- II -
d'étranges fumées crépusculaires
dansent autour d'elle
ballet fantastique
de chair
de métal
de sang
- III -
une main difforme
démesurée
la saisit et broie son âme
effroyables craquements
os brisés
cervelle dégoulinante
sur le parquet d'une société lugubre et puante
- IV -
la main s'éloigne
s'empare avidement d'un grand coutelas
d'étain
luisant et ruisselant
sous le néon violent
le couteau frappe et coupe
et coupe
et coupe
et coupe
coupe
- V -
des dizaines des centaines des milliers
de têtes d'enfants
aux yeux innocents
sont ainsi décapitées
têtes décapitées
macabre pléonasme
insister sur la vérité
- VI -
les yeux se ferment
yeux naïfs et tendres
grincement désespéré
grilles de l'enfer
gémissantes sur leurs gonds rouillés
- VII -
sinistre apocalypse d'une agonie
délirante
incessante
fresque de l'absurde peinte
avec grâce
par les douloureuses
gouaches de l'angoisse
- VIII -
maladie congénitale
cancer totalitaire
incurable dégénérescence
trop brutale prise de conscience
de l'existence illégale
du
néant
- IX -
néant
néant avide insatiable
de pleurs
de cris
de peur
néant
néant repoussant inconsistant
qui nous accable
néant
- X -
l'immonde créature se traine
trébuche
tombe
se blesse sur l'obscénité
piétinements inutiles
pépiements d'oiseaux
dans les branches du
péché
pêché
en fleurs au printemps
- XI -
le soleil se lève sur une aube
nouvelle
nouvelle par son impuissance
à détruire les images
grotesques
d'une nuit qui ne veut
pas
s'en aller
- XI -
tout recommence pour ne plus
jamais
s'arrêter